Dans quelques années, les historiens reviendront sans doute sur les évènements du printemps 2010 en soulignant que c’est à ce moment que l’expérience hasardeuse de la monnaie unique a commencé à se déliter. Le plan de sauvetage de la Grèce n’y changera rien.
Le veau d’or de la pensée unique
Etant donné l’état de panique des marchés et le niveau des difficultés financières de la Grèce, on pourrait croire qu’Athènes n’arrivera pas à passer le mois de mai sans quitter l’euro ou faire défaut sur sa dette, voire les deux ensembles. Mais cela néglige l’aspect psychologique de la crise et le fait que tout le monde sait que si la Grèce tombe, alors d’autres pays tomberont et la monnaie unique européenne ne sera plus qu’un lointain souvenir. Or l’euro est le veau d’or des élites européennes.
La monnaie unique est une forme de Graal pour des gens à qui la disparition des monnaies nationales facilitent la vie et qui ne se rendent pas compte du mal que l’euro a fait à l’Europe. Cet euro cher, qui reste encore surévalué de 25% par rapport au dollar, est un boulet accroché aux pieds des exportateurs européens, qu’il pousse à délocaliser. Cet euro est un boulet accroché aux pieds des Etats auxquels il impose une politique unique qui ne convient à personne.
Malgré tout, il est paré de toutes les vertus. Alors que l’Europe est le continent qui est le plus sévèrement frappé par la crise, ces défenseurs arrivent à soutenir sans rire qu’il nous a protégés. Bien sûr, il a évité les dévaluations au sein de la zone euro, mais ces dévaluations auraient justement redonné de l’oxygène à ces économies et permis un retour de la croissance alors qu’aujourd’hui l’Europe risque de s’enfoncer dans une véritable dépression économique.
Ce n’est que la première manche…
C’est pourquoi il y a fort à parier que les dirigeants européens et le FMI arriveront à se mettre d’accord pour que la Grèce reste dans l’euro et ne fasse pas défaut. En absence d’accord, le veau d’or s’effondrerait, ce qu’ils ne sont pas prêts à accepter. Du coup, ils feront tout pour prolonger cette malheureuse expérience, sans se poser la question de la viabilité à long terme de la zone euro. Il est plus que probable que les gouvernements prendront la décision politique de continuer.
Pourtant, la potion amère que va sans doute avaler la Grèce n’est qu’un pansement sur une jambe de bois. Ce n’est pas tout que les Etats trouvent le moyen de boucler la trésorerie grecque pour les deux prochaines années. Si, entre temps, le PIB a reculé du fait de la politique de rigueur, et que la dette s’est encore largement accrue, même avec un déficit largement réduit, la situation restera instable et très fortement soumise aux mouvements des taux d’intérêt.
Dans quelques années, l’ensemble des pays de la zone euro auront une dette beaucoup plus lourde. Du coup, ce qui se passe aujourd’hui n’est qu’une pâle répétition de l’avenir. Imaginez des économies européennes après trois ans de rigueur, une absence de croissance, un chômage de masse et un poids de la dette encore plus important. Et quand on voit la difficulté des pays européens à trouver une réponse à la crise, il est évident que si l’euro n’explose pas cette année, il le fera plus tard.
Laurent Pinsolle